Les invités de 2012 :
Jean-Alix BARRAT Professeur de Géochimie, Spécialiste des météorites de Vesta de l'Université de Bretagne Occidentale, Institut Universitaire Européen de la Mer.
Éric LEWIN - Chercheur - observateur - enseignant en Sciences de la Terre et des Planètes. Université Joseph Fourier Grenoble.
Jean-Paul MARTIN - Directeur de Recherche au CNRS - Institut Physique Nucléaire de Lyon
Violaine SAUTTER - Spécialiste des météorites martiennes. Muséum National Histoire Naturelle de Paris.
Pierre THOMAS - Planétologue. Ecole Normale Supérieure de Lyon
Jean-Paul THOMAS - Directeur de Recherche au CNRS, coordinateur scientifique de la manifestation. Institut Physique Nucléaire de Lyon
Brigitte ZANDA - Astrophysicienne, laboratoire de Minéralogie et Cosmochimie, Collaboratrice de Théodore MONOD sur la météorite de Chinguetti. Muséum National Histoire Naturelle de Paris
Pour aller plus loin, découvrez quelques portraits de nos invités...
Jean ALIX BARRAT, qui êtes-vous ?
Je suis professeur de géochimie à l'Université de Brest et géologue au laboratoire "Domaines océaniques" de l'Institut Universitaire Européen de la Mer. J'étudie aujourd'hui principalement le magmatisme de gros astéroïdes, de Mars et plus occasionnellement de la Lune, par l'intermédiaire de météorites trouvées dans les déserts, mais j'ai toujours un œil sur les laves terrestres.
Dites-nous en plus.
J'ai d'abord travaillé sur les magmas émis lors des tous premiers stades de la naissance d'un océan, les laves d'Afar et de la Mer Rouge, puis celles liées à l'Atlantique Nord. Je m'intéressais alors à leurs teneurs en éléments traces et à la composition isotopique de certains d'entre eux. Ayant mis au point des procédures d'analyses de roches à l'Université Joseph Fourier de Grenoble où j'étais alors en poste, j'ai analysé par curiosité des verres provenant du désert libyque qui m'avaient été généreusement confiés par Théodore Monod. Le doigt étant mis dans l'engrenage, j'ai commencé à étudier des météorites, la plupart provenant de déserts chauds ou froids.
Avec des collègues d'autres institutions, j'ai identifié huit de la petite cinquantaine de météorites martiennes connues à ce jour. Ces roches sont très importantes car elles apportent des contraintes directes sur la composition de Mars, son histoire et certains de ses magmas. Aujourd'hui, je m'intéresse surtout à 4-Vesta, un corps de 500 kilomètres de diamètre dont l'orbite est située entre celles de Mars et de Jupiter. Mi-astéroïde mi-planète, cet objet a eu une histoire magmatique complexe, qui peut être approchée par l'étude de blocs arrachés à sa surface par des impacts violents, et qui constituent une famille de météorites bien particulières. Vesta va être étudiée prochainement par la sonde Dawn de la NASA. Les données spatiales associées aux données obtenues sur les météorites permettront de comprendre la formation de ce petit corps planétaire. Avec Vesta, nous pourrons affiner les modèles de formation des autres planètes telluriques comme Mercure, Venus, la Terre ou Mars.
Si vous aviez un seul message à faire passer concernant votre métier, quel serait-il ?
Beaucoup de lycéens sont intéressés par les disciplines scientifiques, mais hésitent à se lancer dans des études qui semblent difficiles et longues. Je voudrais les encourager fortement à le faire. L'image de l'université véhiculée par les médias n'est pas toujours positive, mais il y a un réel décalage entre cette image et la réalité. On travaille beaucoup dans les filières scientifiques. Les métiers de la recherche fondamentale ou appliquée à l'industrie méritent largement les efforts demandés !
Éric LEWIN, Comment avez-vous fait d'une passion un métier ?
Tout petit, alors que les maths me réussissaient à l'école, je préfère prendre un marteau et taper tout caillou qui ressemble de près ou de loin, en général uniquement de loin, à une roche volcanique. Mon rêve avait pris naissance d'abord dans une carrière picarde que mon professeur de SVT m'avait demandé "d'explorer" avec un copain. L'ennui de la réalité : craie, craie et rognons de silex, craie, craie et poche d'argile, craie encore et rebelote, bref revoyez les falaises blanches des côtes de la Manche de la Normandie au Boulonnais, m'a vite échappé grâce à un livre des années 1930, d'Edgard Aubert de la Rüe, "l'Homme et les volcans".
Mon destin était tracé ! Quoi que.
Mes études de mathématiques pathétiques, puis d'ingénieur en rien, m'ont amené à penser que mon avenir onirique serait plutôt dans les étoiles, la nuit, comme astrorêveur.
Puis enfin une première opportunité, en fin d'études, accompagner une équipe scientifique allant observer une comète à l'un des seins des seins volcaniques, le Kamtchatka. Raté, une imparable raison militaro-administrative m'en empêche.
Deuxième opportunité : on recherche un jeune passionné pour aller travailler sur le volcanisme d'Io, satellite souffreteux de Jupiter.
Second raté, je suis un peu trop "jeune", car il me manque encore la dernière année d'étude.
De dépit, je me tourne vers du pur terrestre, qu'une troisième opportunité m'offre : dépatouiller ce qui peut l'être dans le fiasco scientifique de la terrible affaire du volcan Soufrière de la Guadeloupe qui éructa en 1976-1977.
Le lecteur aiguisé aura noté l'usage de "second" plutôt que "deuxième", cherchant ainsi à faire mentir la terrible loi des petites séries, celle du jamais-deux-sans-trois. Et de fait, l'envol était pris. Après ce petit travail sur l'une des perles de nos Antilles, un séjour SOUS la pluie et la neige d'une Islande d'été, mais SUR des coulées de lave fraîches émergées de la grande dorsale volcanique de l'océan atlantique, confirme ma passion pour la recherche en géosciences.
Longtemps je vais m'intéresser à notre planète vue dans sa globalité, et aux miettes de sa formation que sont certaines météorites. Devenu observateur-chercheur, les divers volcanismes auront toute mon attention, celui comme mon terrain islandais ou celui comme le Piton de la Fournaise à la Réunion, pour mon travail de chercheur, et celui de la Soufrière de Guadeloupe pour mon service d'observation, celle de ses humeurs de façon à n'en rien ignorer le jour où elle se secouera de mauvais poil.
Un jour du milieu des années 90, les hauts responsables de la recherche française, au CNRS, au CNES, etc. lancent un appel à la communauté des chercheurs : auriez-vous des idées d'instruments scientifiques pour explorer Mars ? Avec quelques collègues, nous nous lançons sur ce défi. Un instrument particulier dans l'industrie, mais il est adapté à son usage quasi unique, le contrôle de qualité à distance du matériau d'une pièce usinée sur une chaîne de fabrication à haute cadence.
Cela s'appelle la spectroscopie par abrasion laser, et l'instrument coûte une fortune et occupe une place d'une dizaine de mètres carrés. Nous faisons le pari qu'avant dix ans, une durée très correcte dans le monde de l'exploration spatiale, tout cela tiendra dans une boîte à chaussures.
Et, bon ! Quinze ans plus tard, cette boîte, plus hum ! Une deuxième de taille équivalent, va se poser sur Mars.
Ça sera cet été, le 6 août vers 7h18 heure métropolitaine selon la trajectoire actuelle. Pendant ces 15 ans, le groupe se sera fortement étoffé ; des dizaines et dizaines d'ingénieurs auront trouvé des solutions absolument incroyables à tous les défis technologiques que notre idée aura provoqués. De notre côté, nous avons défendu l'intérêt de notre instrument, nous avons montré avant même qu'il existe en quoi il serait indispensable, ce qu'il apporterait, avec quelle qualité. Après la réflexion des années 1996, c'est l'appel d'offre de la NASA pour équiper un futur rover qui nous relance dans la course. Nous nous allions à une équipe américaine pour doubler nos chances, et bingo ! Nous convainquons la NASA que notre projet est réalisable. A partir de 2003, commence la construction de cet instrument, que nous appelons "ChemCam", un peu comme "caméra chimique".
En parallèle, je continue, de moins en moins ces derniers temps, d'autres travaux : de recherche : un volcan des Canaries, celui des Marquises, la constitution des roches de nos montagnes, depuis récemment une météorite martienne toute fraîche, etc. ; d'observation : avant, la pollution industrielle dans la ville, maintenant, les spectres des minéraux avec notre technique en laboratoire ; d'enseignement : les couleurs en sciences, la géodynamique chimique, les outils mathématiques et statistiques ; et enfin de diffusion des connaissances scientifiques, comme pour ce festival des AstroNomades !
Les conférences de 2012
Les météorites témoins de la formation du soleil et des planètes
Par Brigitte Zanda - Maître de conférences au laboratoire de Minéralogie et Cosmochimie du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris
Les météorites sont des objets fascinants dont la chute sur Terre passe rarement inaperçue. Pour les plus petits, elle s'accompagne de phénomènes lumineux et sonores (les "météores"), tandis que la chute de gros objets pourra entraîner la formation d'un cratère d'impact, d'un diamètre pouvant atteindre quelques centaines de kilomètres. Ce sont des fragments des corps rocheux du Système solaire: planètes (Mars), satellites (Lune) et planètes naines (astéroïdes et probablement noyaux de comètes), sur lesquels elles sont une mine d'informations. Certains des petits corps qu'elles échantillonnent n'ont pratiquement pas évolué depuis la formation du soleil et de son cortège planétaire. Les météorites qui en proviennent nous renseignent sur les premiers instants du système solaire qu'elles ont permis de dater à 4,567 milliards d'années.
De l'asteroïde Vesta à la météorite de Juvinas
de Jean-Alix Barrat
La météorite de Juvinas tombée sur Terre en 1821 n'est pas une météorite banale.
Cette roche a été arrachée à Vesta, une petite planète dont l'orbite est localisée entre Mars et Jupiter. Au cours de cette conférence, nous verrons ce que les météorites provenant de Vesta nous apprennent sur cet objet. Ces informations seront complétées par celles, spectaculaires, obtenues par la sonde spatiale Dawn de la NASA, qui l'étudie depuis l'été dernier.
Mission martienne
de Violaine Sautter
Depuis 1996, 8 sondes ont été envoyées avec succès autour ou sur Mars (avec aussi 4 échecs), et une nouvelle sonde est en route pour s'y poser le 6 aout 2012. Pourquoi une telle "armada" ? Les résultats antérieurs ont montré que Mars avait pu être "vivable" dans les temps très anciens. Il s'agit donc d'étudier en détail géologie, climatologie ... de Mars vers -3,5 milliards d'années. Les sondes en orbites identifient avec un luxe de détail structures et nature géologique de la surface. Les analyses des météorites précisent cela, et 4 robots se sont posés à la surface et ont confirmé par des études géologiques poussées l'habitabilité potentielle de Mars à cette époque. Curiosity, le robot qui va se poser en aout 2012, a pour mission de préciser ces conditions passées, et, pourquoi pas, d'identifier des traces de cette éventuelle vie datant de plus de 3 milliards d'années.